Dans l’année qui suivit la libération, il fut décidé dans les hautes sphères de l’éducation nationale d’organiser une fête de la jeunesse. Notre instituteur reçu une circulaire dont il nous fit part en nous expliquant ce qu’il allait falloir faire : les exercices que nous allions exécuter, l’ensemble qu’il faudrait obtenir et l’entraînement qui allait commencer sans délai, la fête devant avoir lieu juste avant les grandes vacances. Ce qui fait que 2 ou 3 fois par semaine, peut-être plus, à la place des « rares » heures de sport, nous nous mettions en rangs sur la place de la mairie (lieu de récréation ) prenions nos distances dans les deux sens et commencions les mouvements prévus dans la circulaire. C’était assez difficile, aussi bien à mémoriser les gestes à effectuer, qu’à obtenir un ensemble parfait, but de l’entraînement. Pour arriver à une bonne synchronisation, il en fallut des séances, surtout, qu’on manquait de concentration et qu’on auraient préféré nos jeux habituels.
L’instit nous faisait parfois la démonstration, surtout au début, de ce qu’il attendait de nous en payant de sa personne, mais on avait plutôt envie de se marrer, quand il se pliait (difficilement) qu’il devenait tout rouge, faut dire qu’il portait un col en celluloïd (je crois que c’était en cette matière très rigide et on voyait les veines de son cou gonflées par l’effort. )
A force de travail nous étions parvenus à un résultat satisfaisant…et puis quoi, il fallait participer et même en être fier…
La fête approchant, il fallu que chacun de nous se procure un short, et une chemisette blancs (des sandalettes .) Dépense inattendue pour les parents et dont ils se seraient bien passée. D’ailleurs le short blanc passa à la teinture quelques semaines plus tard…Un beau bleu marine moins salissant…
Après tous ces entraînements et préparatifs vint le grand jour.
Ça se passait dans le stade des bruyères. On nous emmena en autocar. Il y avait là une multitude de gens qui, petit à petit, s’installaient dans les tribunes, et ailleurs, il fallait se caser.
Ça grouillait d’enfants comme moi en en short et chemisette blancs. Toutes les classes de la région avaient subi le même entraînement et se trouvaient là pour participer…
Je n’avais jamais vu une telle multitude de gens. Chaque école avait un numéro et ce numéro était appelé par haut-parleur. Petit à petit, tout se mettait en place…
Impressionnant…! Enfin vint notre tour, je sentais notre instituteur un peu survolté, impressionné et peut-être un peu dépassé par l’ampleur de la manifestation.
Après quelques minutes de pagaïe vint le moment de se mettre en rang.
L’ensemble des écoles occupait tout le stade et notre classe se trouvait dans un angle, tout prés des spectateurs, à quelques mètres des tribunes. Les ordres continuaient à venir du haut-parleur.
Le moment décisif , fut lorsqu’il fallut prendre nos distances, bras tendus, à partir du 1er rang qui se trouvait de l’autre côté du stade, loin de nous , a mesure que chacun devant nous se mettait en place, il fallait reculer et de bras tendus en bras tendus, et de reculades en reculades, toute notre classe se trouva acculée aux gradins, coincée littéralement… Il fallait se rendre à l’évidence, nous étions de trop,… surnuméraires… la tuile…
Toutes ces semaines d’entraînement me revenaient en mémoire pour finalement être dans l’impossibilité de participer…
La mine déconfite de l’instituteur, pas mal d’entre nous qui rigolaient, et en même temps, comme un soulagement, et de l’endroit où nous étions, impossible de bouger, obligés de prendre notre mal en patience sans même avoir une vue d’ensemble de la fête.
En gros l’échec complet. Modeste consolation, une tartine de confiture et une limonade…
Ensuite l’attente interminable avant que dans une bousculade indescriptible, nous remontions dans le car qui nous ramenait sur la place de la mairie, où nous avions passé tant de temps à nous entraîner.
Voilà mes souvenirs de la fête de la jeunesse… En ce qui me concerne elle fut unique mais mémorable.
Aujourd’hui, quand je vois à la télé ces manifestations de jeunes, où les Russes et les Chinois sont passés maîtres, je pense au travail de tous pour arriver à cette perfection… et je ne les envie pas et n’apprécie pas trop …
Trop individualiste sans doute, j’aime pas me fondre dans la multitude et obéir systématiquement…
et puis ça me rappelle peut-être aussi certains maniements d’armes où il fallait aussi obtenir une synchronisation parfaite…que d’heures perdues à ces stupides exercices… enfin, ça, c’était l’armée et il faudrait d’autres feuilles pour en parler.