RÊVE D’ADOLESCENT

A quoi peut bien rêver un jeune de 15 ou 16 ans actuellement. Je ne sais pas ? Mes contacts avec les adolescents de notre époque sont rares et je ne pense pas qu’ils souhaitent me faire de leurs rêves… car ils en ont, c’est sur et ce serait trop désolant qu’ils se satisfassent de leur quotidien… même si, avec les années et les désillusions, on y revienne fatalement. Ce qui fut mon cas.

N’empêche que fin des années 40 et début des années 50, sans avoir le moindre projet de carrière, je souhaitais que ma vie se passe différemment de celle de la plupart des gens qui m’entouraient, de l’usine à la maison, de la maison à l’usine, pour les privilégiés c’était le bureau, avec le dimanche comme journée de repos sans autre horizon qu’une promenade ennuyeuse ou pire encore – le jardin -. J’avais lu pas mal de bouquins d’aventures dans mon enfance et j’espérais qu’une occasion me serait offerte un jour de partir, de voyager, d’échapper à la monotonie de cette vie.

J’étais en apprentissage au centre H Fayol à Grand-Couronne. J’apprenais la menuiserie et j’avais bien conscience que ce métier là ne m’emmènerait pas vers des aventures extraordinaires. Je n’avais pas vraiment le choix.

A quatorze ans, on nous avait fait passer dans différents ateliers pour décider du métier qui nous plairait le mieux : Maçonnerie, Serrurerie, Électricité, Chaudronnerie, Menuiserie, Ajustage… mon choix de la menuiserie s’est fait seulement sur l’odeur du bois (agréable) et les beaux copeaux que faisait le rabot quand on me donna un morceau de bois à dresser. Ce que m’apporterait ce métier par la suite, je ne m’en souciais pas… Je ne sais pas si les copains de mon âge réagissaient de la même façon ou s’ils avaient des idées bien arrêtées sur leur future carrière… moi non… Mes parents (et c’est tout à leur honneur) voulaient que j’aie un métier… mais le quel ? Ils n’étaient pas en mesure de me conseiller… Enfin qu’importe, je travaillais bien plus pour leur faire plaisir que de penser à mon avenir professionnel et en fin d’apprentissage, j’obtiens la C A P avec une mention bien 18,5 /2O à la pièce de menuiserie qu’il fallait faire dans un délai déterminé. Cela pour dire que parallèlement à mon côté rêveur, je pouvais quand même avoir de bons résultats pendant mon apprentissage.

Jusqu’à 17 ans donc, très peu d’argent de poche. Mon ouverture sur le monde était limitée et le peu que j’en connaissais venait de mes lectures,des films que je voyais occasionnellement et qui nourrissaient mon besoin d’ailleurs, que j’imaginais exotique rempli d’aventures et aussi d’argent. Car le voilà le vrai manque quand on a 17 ans : jamais assez de fric pour de payer une place de cinéma, jamais assez de fric pour faire quelques tours d’auto scooter…trainer ses guêtres sur la foire sans un rond, c’est pas drôle et tout à l’avenant : vêtements, godasses, restaurant… pas question… A l’âge où on voudrait frimer un peu et bien pas question…

Pas étonnant que ce qui va suivre m’ont semblé être la solution pour résoudre mes problèmes : à savoir Partir, ailleurs, c’est forcément mieux, c’était mon impression et ma quasi certitude, et puis j’avais en exemple sous les yeux, tous les soirs quand je descendais dans mon village avec un ou deux copains. C’était l’époque où le trafic portuaire entre le Havre et Rouen était à son apogée bateaux de marchandise de toutes sortes et pétroliers. Beaucoup accostaient à la raffinerie et on voyait débarquer une foule de marins qui mettaient une sacrée animation dans Petit-Couronne. Ils envahissaient les bars et plus particulièrement le Bar Normand et y faisaient la fête. Par comparaison à la vie modeste que nous vivions, leur façon de claquer le pognon m’épatait. Je ne me trompe surement pas en disant que dans une soirée de bringue, ils devaient dépenser ce que gagnait mon père péniblement dans son mois… en plus ils étaient sapés comme des milords, un peu voyants quand même… ! Se payaient le taxi pour aller à Rouen finir de claquer leur paie, emmenant avec eux les filles qui, attirées par ces matafs pleins de blé, et sans cesse renouvelés, venaient vendre leur charme à cette clientèle inespérée. Tout cela était bien sur frelaté mais je ne voyais que le beau côté et petit à petit, il me vint à l’idée que la seule solution pour sortir de la médiocrité était de naviguer. J’étais encore en apprentissage (en 2éme année) 16 ans , mais , souvent, il m’arrivait de trainer sur les quais et de me pointer dans des compagnies maritimes de Rouen où on ne prenait pas ma résolution de naviguer très au sérieux.

Trop jeune sans doute. Je m’obstinais quand même à chercher un embarquement sans succès. Je m’étais un jour présenté à l’inscription maritime , un scribouillard m’avait demandé si j’étais inscrit maritime. Sur ma réponse négative, il m’avait dit « alors vous ne pouvez pas embarquer. Que faut-il faire pour être inscrit maritime ? Réponse : il faut avoir navigué… Démerde – toi avec ça…

Beaucoup plus tard, j’ai su comment il fallait faire. Il fallait qu’un patron pêcheur m’embauche, qu’il m’inscrive sur son registre, même pour un temps très court après, j’avais un fascicule, j’étais inscrit maritime avec un peu de chance, je pouvais trouver un embarquement. Dans l’ignorance de cette possibilité je continuai de rêver, d’envier les marins toujours aussi argentés et moi toujours aussi démuni. Je restai convaincu que ma bonne fortune ne pouvait passer que par la marine marchande puisqu’elle réunissait 3 conditions qui me semblaient essentielles : voyages , aventures, argent… Mon expérience de la vie m’a fait changer d’avis depuis longtemps, mais à l’époque, j’avais les certitudes de la jeunesse.

J’avais maintenant 18 ans. D’échec en échec, mais toujours aussi décidé, je résolus avec un copain ayant les mêmes ambitions que moi, et sur les conseils d’un « ancien », d’aller faire la grande pêche, à terre-Neuve. Ça faisait trop longtemps que ça durait, tout ça il fallait frapper un grand coup et brûler les étapes. Terre-Neuve ne pouvait, qu’être la solution. Après une saison à la grande pêche, surement que trouver un embarquement serait chose facile…Cet ancien avait l’air bien renseigné on pouvait lui faire confiance. D’ailleurs il avait l’aspect d’un vieux bourlingueur, avait en permanence sur sa tête une belle casquette de marinier (avec ancre doré) tout cela sentait la mer… ! D’ailleurs il était passeur d’eau au bac de Petit-Couronne,c’était pas pas le grand large, j’en conviens. Petit Couronne , Val de la Haye dix fois par jour, et bien qu’il n’avait surement jamais dépassé l’embouchure de la seine, comme je le disais plus haut, on lui fit confiance. « Les Terre Neuvas » partent dans quelques jours, nous dit-il, faut que vous alliez à Fécamp vous présenter au bureau de l’inscription maritime ». Je ne me souviens plus de la date mais c’était au cœur de l’hiver… et pas un hiver comme celui que nous vivons actuellement… un froid de voleur. Les chantiers du bâtiment ou je travaillais étaient arrêtés pour cause d’intempéries… Ce qui me permettait d’être disponible…

Nous étions en 1951. Mon copain Jean avait un scooter vespa. C’est sur son engin que nous partîmes en direction de Fécamp, (et pour l’aventure ) par une matinée glaciale moins 12° en dessous de zéro. J’étais mal équipé et malgré les 2 pulls l’un sur l’autre, une veste en laine, un bonnet, les pieds bien enveloppés mais dans des bottes en caoutchouc…

Je savais dès le départ que ça serait héroïque … et ce le fut. Traverser le pays de Caux à l’époque sur des routes enneigées et verglacées, des kilomètres sans le moindre coupe-vent ou abri, les chutes de neige occasionnelles les glissades, les chutes, ce qui, dans de bonnes conditions aurait été une longue promenade se transforma en exploit sportif dignes de certains rallyes !

Enfin, complétement gelés, nous arrivâmes à Fécamp… ouf ! Il fallait trouver le bureau de l’inscription maritime. Nous n’avions même pas l’adresse… enfin nous trouvons… Après s’être un peu réchauffés nous demandons à être reçus. On nous introduit dans un bureau et nous expliquons au personnage qui se trouvait en face de nous le but de notre visite, notre désir d’embarquer pour Terre-Neuve. Il avait l’air un peu goguenard et souriait… au bout de quelques instants, voilà à peu prés ce qu’il nous dit : « Bien, bien, les gars, si vous étiez venus hier, plutôt avant- hier, sûr que je vous faisais embarquer, mais aujourd’hui, c’est trop tard, les chalutiers sont tous parts… Je vous promets sans faute un embarquement … mais l’année prochaine… !

La tronche qu’on tirait… le ridicule de la situation, le mal qu’on s’était donné… c’est vrai que le port à notre arrivée ne m’avait pas semblé très animé… pour le coup on avait l’air fin… L’aventure s’arrêtait là, pas tout à fait car il fallait rentrer, et se cailler les miches à nouveau pendant des heures pour rentrer chez nous… et penauds. On a du boire un coup de café avant de repartir… l’aller avait été pénible, le retour fut morne. Le soir on mit très longtemps à se réchauffer dans un bar, en buvant un grog, afin de rentrer à la maison pas trop mal en point… Ma mère fut très contente de l’échec de notre démarche. L’idée de me voir faire Terre-Neuve ne l’enchantait guère. Avec juste raison ça ne devait pas être des roses, mais ca laissa quand même en nous, pendant quelques temps un sentiment de regret, et puis, on oublia et, l’année suivante on ne chercha pas à ré-embarquer et je ne sais plus trop pourquoi… ! Cette aventure n’eut pas de suite et je n’ai jamais navigué. Longtemps j’ai trainé cette nostalgie du « partir » non réalisé…Il n’y avait aucun projet particulier dans cette envie, et surtout pas de carrière, et par la suite, je n’ai pas regretté d’être passé à côté de ça, comprenant que la vie d’un marin n’est probablement pas plus enviable qu’autre. Par contre, oui, le regret du « désir de partir » qui lui était vrai et qui se nourrissait de rêves que je n’ai malheureusement plus. !

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