J’entendais récemment à la télé qu’une catégorie de jeunes, de plus en plus jeunes, d’ailleurs, se rassemblaient pour boire de l’alcool d’une manière excessive, jusqu’à l’ivresse totale.
Phénomène inexplicable semble- il . Dans le passé, dans mon village li y avait bien quelques poivrots, mais dans 9O% des cas, c’était des gens âgés, (pour moi qui avait entre 12 et 18 ans à cette époque). Ces poivrots faisaient un peu partie du paysage et nous, les gosses, ils nous amusaient.. Chez nous, il n’y avait pas de vin, juste de la boisson, obtenue par brassage des pommes, qui était très très légèrement alcoolisé.
Mon père mettait bien en bouteille du cidre mais en très petite quantité, et il fallait une occasion exceptionnelle pour en déboucher une.
Mon père ne buvait pas…pas souvent ! Peut-être parce que ça ne lui réussissait pas.
Je me souvient l’avoir vu rentrer après avoir bu … il avait l’œil mauvais, était irritable et se mettait parfois dans des colères terribles qui nous paralysaient.
A l’école, on nous apprenait les méfaits de l’alcool, qui ne se souvient des images : à gauche foie sain, à droite foie d’un alcoolique, violacée, boursouflée, dégueulasse…
Cependant et malgré les avertissements sur sa nocivité, on se trouve un jour confronté avec l’alcool.
Le sucre trempé dans la goutte, bien des enfants normands y ont eu droit…un petit peu de porto lors d’un apéritif exceptionnel…et puis l’attirance vers tout ce qui est interdit qui fait qu’un jour on y est vraiment confronté.
Dans notre village, le lieu de rencontre des jeunes était le bar Normand… A cause peut-être du baby-foot, du flipper et du jukebox… peut-être aussi à cause des filles qui le fréquentaient.
Nous étions plutôt abonné à la menthe à l’eau ou au Vittel fraise qu’à l’alcool… parce que c’était ce qu’il y avait de moins cher et que nous n’étions pas tenté de picoler…Par contre nous avions sous les yeux l’exemple de gens (surtout des marins) qui faisaient des bringues à tout casser et finissaient la soirée ivre morts. La vision de cette débauche nous incitait pas à les imiter.
Sur les chantiers à la même époque, le vin était bu en grande quantité par les compagnons.
Sur chaque chantier, il y avait un jeune (le mousse) qui, chaque jour, en même temps que quelques courses, allait chercher le pinard. Car, bien évidemment, ça n’était pas du vin de qualité.
Le lundi, c’était fréquent de voir les compagnons(une bonne partie) quitter le travail pas mal éméchés.
Dans les campagnes, c’était fréquent de voir un alambic en activité… et les gens, dans les chaumières, buvaient souvent la goutte avec leur café.
Ce préambule pour dire qu’en ce qui me concernait, j’évitais l’alcool, et s’il m’arrivait avec quelques copains de faire un tout petit écart, il était compensé par des semaines de flotte ou de limonade, jus de fruit etc…etc…
Un jour pourtant, je me suis fait surprendre …et ça ma servi de leçon, de manière définitive.
Un copain, beaucoup plus âgé que nous mais qui fréquentait les mêmes lieux, nous annonça un jour que demain soir, il enterrait sa vie de garçon et qu’il nous conviait à la fête. Quand je dis plus âgé, il devait avoir 24 ans, alors que j’en avais 17 … ça fait pas mal de différence (à cet âge-là). Il avait une assurance avec les filles que nous n’avions pas et peut-être même avait-il pendant un certain temps joué un peu les proxénètes… ça n’est pas sur mais il me semblait étaler des moyens que son salaire ne pouvait logiquement lui permettre. D’ailleurs, à cet enterrement, des filles du bar étaient également conviées, et parmi elles, son ancienne régulière… quand a sa future épouse, elle n’était pas prévue aux festivités…
Je ne m’en doutais pas le moins du monde, mais ce fameux Roland, c’était son prénom, projetait dès le départ de nous souler, mon copain et voisin, Gilbert. C’est donc tout naïvement que nous nous pointâmes au BAR NORMAND où nous Roland nous attendait. Ambiance de fête, musique, cigarettes ça s’annonçait bien. L’après-midi finissant, il proposa de nous rafraîchir au petit blanc… Pas méfiant, nous acceptions la proposition et trinquons à son célibat qui prenait fin…
Combien y eut-il de bouteilles je n’en sais rien, d’autres de ses amis venaient trinquer avec nous, c’était joyeux et rapidement je tombais dans une espèce d’euphorie… je me sentais gai, heureux, tous ces gens me semblaient particulièrement sympathiques et je n’osais pas leur refuser de nouvelles libations…
L’heure de l’apéritif arrivant, je crois me souvenir qu’on passât au pastis… A ce moment-là, j’avais déjà perdu pied et ma volonté était réduite à néant, il suffisait qu’on me propose un verre pour que je l’avale séance tenante.
On a du casser une croûte, mais c’est assez flou dans ma mémoire.
Et puis la soirée s’avançant (peut-être le bar fermait-il ?)
Nous partîmes en direction des quais dans une espèce de cantine où se retrouvaient les dockers , les marins , les filles et quelques ouvriers…
C’était plutôt sordide, mais j’étais déjà trop parti pour m’en rendre compte.
Mon copain Gilbert aussi qui n’arrêtait pas de se marrer…sans raison. On devait tous avoir le vin gai car dans cet endroit, les chansons de corps de garde y passèrent toutes. A celui qui braillerai le plus fort. Les bouteilles continuaient à défiler. Maintenant c’était du gros rouge. Je ne distinguai plus grand-chose mais probablement que Roland, à cet instant, pouvait considérer qu’il avait réussi au-delà de ses espérances ce qu’il projetait : nous soûler à mort. J’étais arrivé à ce point ou on a totalement perdu conscience de ses actes. J’aurai pu faire n’importe quoi…
Heureusement, l’accumulation de ce que j’avais bu me rendait comment pourrait-on dire…cotonneux et déconnecté…
Enfin il fallut se séparer et rentrer chacun chez soi…
Je ne me souvient plus de cette fin de soirée…Je me souvient seulement de mon retour (avec Gilbert) où nous ricanions bêtement en faisant les quatre coins de la rue, nous arrêtant, repartant, titubant, manquant à chaque instant de nous étaler…
Après une éternité,nous nous trouvant enfin devant notre domicile. On se sépare…
Je me retrouve devant la porte, pas fier du tout et, dans ma soûlographie, une peur d’affronter mes parents dans cet état…et les vapeurs d’alcool chassent mon appréhension et après bien des tentatives infructueuses, je parviens à glisser la clef dans la serrure… Doucement, j’ouvre la porte, j’allume, me cogne malgré tout dans une chaise, essaie d’enlever mon blouson…
C’est dans cette posture, probablement l’air idiot, tentant difficilement de faire glisser une manche de mon blouson que ma mère, qui s’était levée, me vit.
Elle ne dit rien, ayant constaté dans quel état j’étais et retourna se coucher. Maladroitement , je regagnai ma chambre ou mon frère Christian dormait. Il se réveilla et dut me dire quelque chose « bah dis-donc, t’en tiens une bonne »… Je ne répondis pas , finis de me déshabiller et m’allongeai dans mon lit , instantanément, j’eus l’impression que le lit basculait d’arrière en avant et tanguait sur les côtés… impression bien plus éprouvante que les manèges aux pires sensations… je m’assois… ça continue… je m’allonge à nouveau, c’est pire que précédemment… impossible de se contrôler, la tête douloureuse, la nausée qui me prend…
Malgré tous mes efforts pour éviter le pire, malgré l’envie de me lever (sans y parvenir) impossible de me retenir et je vomis à gros jets puants et dégueulasses… j’asperge tout mon lit, le sol, j’en remplis mes godasses… Une odeur atroce se répand… encore quelques hoquets, une dernière gerbe et c’est fini.
J Je suis vautré dans tout ce dégueulis et m’en vœux à mourir.
J’ai du dormir un peu, mais , je me sentais mal… En plus, je me souvenais il y a bien des années, mon frère aîné était rentré, moins mal en point que moi, mais soûl comme une bourrique… et au matin, mon père l’avait réveillé à coups de ceinturons…
Très tôt le matin, mon père me réveilla. A grande surprise ne fit aucun commentaires, seulement ceci : « quand tu auras nettoyé tes saloperies, tu viendras au jardin ». Il devait être 7heures du matin, j’avais pas dormi longtemps.
Après le nettoyage, je me rendis au jardin. Il faisait une belle journée, le soleil brillait et m’éblouissait, j’avais l’impression qu’il décuplait mon mal de crâne… J’ai compris aussi ce jour-là ce que c’était que d’avoir la gueule de bois…
Mon père me remit une bêche et me donna jusqu’à midi pour retourner une partie du jardin qui me parut immense. Puis il me tourna le dos. Je savais qu’il reviendrait à midi et qu’il fallait que je sois venu à bout de ce travail… sinon…
Toute la matinée, j’ai souffert, par la pénibilité de ce que j’étais contraint de faire, mais surtout par les vapeurs d’alcool qui mirent longtemps à s’évacuer et qui me fichaient un mal de tête insupportable.
A midi pile, mon père était là. J’avais fini, à quelques coups de bêche prés. Il ne dit rien.
Je pense que ça a été sa façon à lui de me donner une leçon…je ne l’ai jamais oublié. Jamais de toute ma vie, je n’ai repris une cuite. Il m’est arrivé de me retrouver dans cet état légèrement euphorique que provoque la consommation de quelques verres… ça n’a jamais plus dépassé ce stade. J’avais été trop malade, j’avais eu trop honte, j’avais trop peiné ma mère pour être à nouveau assez stupide de recommencer.