S’il fallait donner un titre à cette histoire, ça pourrait être tout simplement « Les biscuits vitaminés »
Nos générations respectives, quelques années de différence, ont tous connu ça. Ça s’éloigne tellement dans le temps que pour beaucoup c’est oublié…Il suffit pourtant de se remettre dans le contexte de l’époque pour les évoquer, ces fameux biscuits vitaminés…
Époque de privation, 194O- 1944 – 1945 pour ne pas dire de disette… Pour survivre mon père avait 3 jardins à cultiver. Un derrière la maison, relativement petit, l’autre à 2OO mètres de chez nous dans la plaine, déjà plus important, et le 3éme au bord de la seine, c’est à dire à 1 kilomètre 5OO du domicile, et celui-ci me semblait immense. IL avait fallu à l’origine le défricher, brûler les arbustes et les ronces, le retourner (à la bêche) et planter. Avec sa vie professionnelle, le jardinage occupait tout son temps. Moi, j’aimais pas trop. Surtout quand il fallait écraser les larves de doryphores sous les feuilles de pommes de terre.
On faisait ça entre les doigts,c’était dégueulasse, visqueux, quand aux doryphores, on les mettait un à un dans des bouteilles qu’on bouchait quand elles étaient pleines…Les insecticides, on connaissait pas.
Cette période de mon enfance est, sur le plan de la nourriture, évocatrice de manque. Je n’entrerai pas dans les détails, mais qui a eu faim (vraiment) sait ce dont je parle.
C’est pour ça que (et j’en arrive à ces fameux biscuits ) lorsqu’à l’école, nous avons vu arriver des grands cartons remplis de biscuits et que l’instituteur a procédé à la distribution, ce fut vraiment un moment de bonheur et qui plus est, se renouvela tous les jours… Je me souviens que lorsqu’il y avait une alerte et que nous nous rendions aux abris, la ration était doublée… On aurait presque souhaité des alertes plus fréquentes, Les mois passèrent. C’était devenu normal maintenant, mais l’heure de la distribution était toujours attendue…
Je ne peux plus situer exactement le Noël où se sont passés ces évènements. Probablement 1943. Avec ma sœur aînée, nous préparions une crèche. Il fallait économiser sou par sou pour acheter très occasionnellement un santon représentant un roi mage, ou Joseph ou l’âne… Je crois qu’on a jamais eu assez pour acheter la vache…
Ma sœur, à la même époque, me fit part d’une idée concernant le prochain Noël. Si chacun de nous deux prélevait sur sa ration de biscuits vitaminés la moitié de celle-ci, on pourrait, la veille de Noël, les donner à maman, qui nous confectionnerait un superbe gâteau… ça méritait réflexion… Il fallut bien la nuit et la journée pour donner ma réponse, affirmative, comme il se doit, mais conscient que ça allait être dur … Nous nous étions procuré une boite métallique bien hermétique, que nous cachions au fond d’une armoire. Le premier soir, chacun un biscuit dans la boite, ça pesait pas lourd et je la voyais pas pleine… Je crois qu’à cette époque, c’est 4 par jour que nous avions droit. Enfin, qu’importe, chaque soir, discrètement, nous mettions la moitié de notre ration dans la boite. Souvent nous les comptions, impatients de la remplir, et toujours tentée d’en manger, mais nous nous étions promis de ne pas céder et nous réussîmes à tenir le coup jusqu’au bout.
Il fallut un mois et demi pour la remplir, et enfin nous y étions parvenus.
Comme prévu, un jour ou deux avant Noël, devant mes autres frères et sœurs, nous remîmes à ma mère la boite consciencieusement remplie et assez fiers de nous quand même…! Ce fut un moment de surprise pour tout le monde …et de joie. Et c’était nous qui en étions les auteurs…
Finalement, nous étions largement récompensés du manque que nous nous étions infligés. Ma mère nous fit le plus délicieux des gâteaux et ce Noël fut, pour l’époque, un vrai Noël… malgré tout, sans huitre, sans dinde aux marrons, on pouvait pas tout avoir !
Sensiblement à la même époque, voici une autre anecdote concernant le même sujet.
J’étais dans une classe où je suivais avec une certaine facilité les cours que, nous donnait la maîtresse certains d’entre nous, étaient parfois privés de récréation pour s’être mal conduits, ou pour avoir eu de mauvaises notes. C’était d’ailleurs souvent les même. Une fois, cependant, je fut puni et me retrouvai enfermé à l’heure où habituellement, on se défoulait dans la cour. La punition m’était pénible et me déplaisait beaucoup…
Je faisais donc mon exercice bien consciencieusement quand l’un des punis me dit : « monte sur le pupitre et fait le pet… en un mot, guette si la maîtresse ne revient pas. Je n’approuvai pas trop la situation mais ils étaient là, 3 ou 4 et c’étaient les durs de la classe. Je m’exécutai et, pendant ce temps là, les autres, fouillant le tiroir du bureau de la maîtresse, en sortaient une clé et, vite fait, ouvraient l’armoire, sortaient la boite de biscuits, s’en remplissaient les poches, et m’en fourraient une poignée dans la poche de ma blouse… prix de mon silence et de ma complicité involontaire…
Je comprenais mieux les punitions régulières et successives qui, finalement étaient souvent provoquées dans le but de se remplir la panse.
Il étaient bien entendu pas question de cafter. Mais par la suite, je redoublais d’attention pendant les cours pour ne pas me retrouver dans cette situation.
D’ailleurs, peu de temps après, la boite disparut de l’armoire, et c’est dans son appartement de fonction que notre maîtresse allait la chercher avant la distribution. Elle s’était probablement rendu compte que le niveau des biscuits baissait d’une manière un peu trop rapide, mais ne fit pas d’histoire, ni de commentaire…