Pour procéder à ces travaux, il y a toute une technique de pompage qui ne nous concernait pas. Ce que nous savions, c’est que nous serions amenés à souder, (avec toute la sécurité nécessaire), sur une conduite en service et de raccorder celle-ci à la nouvelle qui la prolongeait. J’avais compris également qu’on aurait chaud !! A la descente de l’avion, j’avais eu l’impression d’être dans un four. Déjà je commençais à m’y habituer… mais j’étais encore comme un touriste : pantalon léger et chemisette… Notre travail nécessite une protection qu’on ne peut éviter : port d’un capuchon d’une cagoule, d’un boléro en cuir pantalon, chaussures et gants… On n’en était pas encore là…L’après-midi, une voiture de la société nous emmena jusqu’à PALMYRE.
La route ne passait pas très loin de cité antique et j’eus déjà une première vision de ce lieu magnifique… On nous emmena à l’hôtel Zènobia (nom de la reine Zénobie qui régné sur PALMYRE (dans les 25O ans après J.C.) PALMYRE existait bien des siècles avant J.C. Il est même fait mention de l’oasis PALMYRE sur une tablette XVIIIe siècle avant JESUS-CHRIST.. Je n’étais pas là pour faire du tourisme. On me le fit comprendre et c’est au moins 3 semaines après mon arrivée dans la pays que nous pûmes aller visiter les ruines, un jour où nous attendions après une pièce indispensable qui nous laissait un peu de liberté.
L’hôtel où nous devions loger était des plus rustiques, avec un confort minimum et pas de climatisation. Je me souviens de la chaleur dans la journée mais, le soir à PALMYRE une impression d’adoucissement rafraîchissement serait trop fort, mais une température agréable qui nous permettait de faire des nuits tout à fait reposantes. Quand à la ville, on y voyait encore plus de bourricots, de chevaux que de véhicules à moteurs… mais c’était la fin de cette époque. J’ai le souvenir d’une ville en mouvement, bruyante et agitée mais jamais hostile…
Le lendemain de nôtre arrivée, nous sommes allés sur le chantier, pour d’abord passer nôtre test de soudure. Je constatais que le dépôt, n’était pas très éloigné d’un terrain d’aviation où étaient camouflés des M.I.G.15 qui s’envolaient régulièrement pour effectuer des raids sur ISRAËL… J’avais oublié ce détail : c’était la guerre entre ces deux pays… et puis on se mit au travail.
Je passe sur le quotidien… pour en arriver au premier raccordement sur le « pipe » plein de pétrole. Il fallait souder une énorme vanne sur le tube qui avait été préalablement coupé à froid avec une machine spéciale. A ma grande surprise, je vis une multitude de manœuvres Syriens confectionner des boulettes de sable et de terre mélangées avec de l’eau, ce qui formait une sorte de ciment dense qu’ils portaient et déposaient à l’entrée du tube (le diamètre était je crois me souvenir de 0,9o m). A l’intérieur du tube,deux autres syriens qui entassaient ces boulettes de sable en les comprimant avec un lourd maillet en bois. Ils confectionnaient un énorme bouchon pour retenir le pétrole et plus particulièrement le gaz qui pourrait s’échapper. Je trouvais la méthode un peu « rustique » mais j’avais affaire, à des ingénieurs syriens spécialisés dans toutes les activités pétrolières. Il fallut des heures et des heures de travail. Et pour nous d’attente. Pour qu’enfin le bouchon eu complétement obstrué le tube et que nous puissions procéder à la soudure de cette vanne (plusieurs tonnes qui, ensuite, se raccorderait en toute sécurité à l’autre conduite)
L’après-midi s’était avancé et la nuit tombait quand ce fut à nous d’intervenir. Le raccordement allait se faire en fond de fouille et la vanne suspendue à un ou deux engins fut amenée au niveau du tube qu’on venait de poser sur des cales au fond de la tranchée. Après quelques manœuvres de réglages, la vanne fut clamsée et il ne nous restait plus qu’à nous équiper : lunettes, cagoules, boléros gants. C’était le moment le plus important et nous étions entourés de toute la « maîtrise » .
Mon coéquipier, qui se trouvait en face de moi, de l’autre côté du tube, amorça une fraction de seconde avant moi…et je ne vis plus qu’une flamme, en même temps une explosion m’assourdissait et je ressentait une brûlure au visage…
Par l’explosion, la vanne avait été déclamsée et projetée en arrière. Suspendue aux engins, elle revenait lourdement dans un mouvement de balancier…en même temps que je voyais tout cela, je voyais également comme une volée de moineaux, les gens s’enfuir et s’extraire de la tranchée. Je m’étais également précipité loin du lieu de l’explosion, et constatais qu’il n’y avait pas trop de dégât…Une légère brûlure sur la gauche… ma cagoule et mon capuchon m’avait protégé… quelques cheveux cramés… plus de sourcils !!
On s’en tirait bien. Les ingénieurs décidèrent qu’on recommencerait l’opération le lendemain. Il avait aussi été question d’un éventuel raid israélien… ça aurait été le complet !
Le lendemain, nous revoilà tous en place avec à nouveau des gens pour rafraîchir et tasser à nouveau le bouchon… Mais cette fois, au lieu d’aller vers un rafraîchissement par la tombée de la nuit, une chaleur de plus en plus suffocante. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser que, par une température douce, les gaz avaient pu traverser le bouchon et exploser, par cette chaleur, il était fort probable que ça allait recommencer. Tout était prêt pour refaire l’opération de la veille… Je fis part de ce que je pensais à un ingénieur syrien qui parlait couramment le français. Il eut un petit sourire et me dit quelque chose comme : « à ce que je vois, on n’est pas très rassuré »… ça ne me plaisait pas qu’il puisse penser que j’avais la trouille… ce qui n’était d’ailleurs pas le cas, mais je pensais qu’il était légitime de travailler en sécurité . Je demandais un chalumeau et je fis s’éloigner toutes les personnes qui se trouvaient devant le tube à raccorder. Après avoir allumé le chalumeau et m’être mis à l’abri sur le côté du tuyau, je présentais la flamme devant l’ouverture du tube… Une énorme flamme en jaillit… d’au moins dix à quinze mètres… La mine déconfite de l’ingénieur… et là c’était mon tour de me marrer. C’est tout juste s’il ne me fit pas des excuses… et, pour le coup, on ne raccorda pas en bout à bout mais en soudant une collerette.
Quelques jours plus tard, avec mon copain et équipier Maurice nous avons visité les ruines de PALMYRE … sans guide. Sans être des connaisseurs, nous étions très impressionnés. La voie monumentale, les colonnes, le théâtre et, à l’époque pas de touristes ! Ça n’est plus le cas et je me suis laissé dire que l’hôtel ZENOBIA plutôt ordinaire, s’était transformé en hôtel de luxe… Pour marquer l’événement, j’avais emprunté l’appareil photo d’un copain et acheté une pellicule dans un des nombreux magasins de PALMYRE… que je fis développer à mon retour… Il n’y avait rien dessus… elle était périmée…
De PALMYRE, je ne garde que ce que j’ai en mémoire… entre-autres, la gentillesse des syriens qui travaillaient avec nous … ça fait 36 ans. Les véhicules motorisés ne manquaient pas et nous croisions souvent sur les routes et les pistes des 4×4, des camions, des autocars et des taxis… mais aussi en grand nombre, des ânes, des chevaux et des dromadaires… montés par des gens de toutes catégories sociales, souvent modestes et vaquant à leurs occupations, que nous ignorions, mais aussi et plus rarement des personnages dont l’allure et le comportement laissait soupçonner qu’ils étaient puissants et riches. J’en ai croisé quelques uns à l’occasion de déplacements entre PALMYRE et les stations de pompage qui jalonnaient le « Pipe-line ».
La plus étonnante rencontre que j’aie faite mérite d’être racontée, bien qu’il n’y ai eu aucun contact, aucune parole d’échangée, à part, peut-être un discret salut… J’étais dans nôtre véhicule et je devais me rendre sur le chantier. Crevant de soif (la chaleur était intense) je m’arrêtais pour récupérer mon bidon que j’avais mis au frais à l’arrière… Au loin, j ’aperçu un cavalier qui venait dans ma direction. Derrière lui, c’était le désert… devant lui , à perte de vue, aussi… A part la piste qu’il traversait presque à ma hauteur. Ce qui me frappa, c’est l’allure de cet homme qui semblait sortir d’un conte des mille et une nuits (même si l’exemple semble un peu fort) turban djellaba et pantalon (Sarouel) d’un blanc immaculé, cheval également blanc et superbement équipé la crosse d’un fusil dépassant d’un long étui de cuir fixé(je crois)à une selle travaillée… et, à la ceinture, un long poignard recourbé… Tout à fait l’allure d’un seigneur du désert… Ou se rendait-il, ? Mystère !! Probablement à une fête bédouine… ou à un mariage… Le sien peut-être ? Ce qu’il y a de sur, il avait vraiment fière allure et, comparativement, j’eus le sentiment, moi l’européen, le français l’occidental, dans mes vêtements poussiéreux et dans ma sueur de travailleur, de ne faire vraiment pas partie du décor et de son monde…
Notre chauffeur de camion nous emmenait, (au cours de déplacement d’un raccordement à l’autre,) chez des bédouins qu’il connaissait et dont il voulait présenter les deux Français dont il était l’équipier. La plupart d’entre-eux ont peu de moyens et survivent modestement avec leurs troupeaux de chèvres et de montons. Notre chauffeur devait faire notre éloge car, nous étions bien reçus et, si les impératifs du travail ne nous avaient pas obligés à prendre congé assez rapidement, après la tasse de thé que nous avons pris au frais sous la tente, nous aurions dû accepter de partager leur repas… Il est vrai que l’hospitalité des bédouins est bien connue.
Au camp principal, il y avait le magasinier qui nous connaissait bien, mon collègue Maurice et moi. Il était en contact avec les marchands de pièces détachées de la ville HAMS, et autres commerçants pour assurer la bonne marche du chantier et son ravitaillement. Son activité lui permettait d’avoir des contacts avec une multitude de gens, syriens pour la plupart, et d’être au courant des petits événements en rapport avec la présence de notre société dans cette région. Peut-être à la suite d’un dépannage ou la fourniture de pièces détachées, il fit la connaissance de contrebandiers dont le camp se trouvait à une trentaine de kms de la piste que nous empruntions régulièrement, en plein désert. En remerciement d’un service rendu ils l’invitèrent un soir… peut-être aussi pour régler ce qu’ils devaient de ce service rendu.. Peu importe… Il nous proposa de l’accompagner après notre journée de travail… Peut-être aussi que ça le rassurait de ne pas y aller seul ?
Trente kilomètres dans le désert… et enfin nous arrivons à proximité du camp. Ce qui me frappe, tout d’abord, ce sont les véhicules de toutes sortes rangés à l’écart… : camions en quantité et voitures dernier modèle… On n’est pas chez des miséreux… La deuxième chose, c’est que de sous la tente où nous nous dirigeons, des femmes s’éloignent et s’engouffrent sous une autre tente… on ne les reverra plus de la soirée… Nous sommes reçus par un homme de haute taille, assez impressionnant, vêtu à la bédouine, plutôt grand seigneur et en arme, pistolet à la ceinture… qui nous invite à entrer et nous présente ses hommes (ou ses frères et cousins.) Il fait bon sous la tente. Le sol est recouvert de tapis. On s’assoit. Ça palabre un peu. Notre magasinier parle un peu syriens et nous traduit quelques banalités…
A la vue de ce qui m’entoure, je me doute bien que nous ne sommes pas chez des enfants de chœur… Un véritable arsenal… je distingue à l’extrémité de la tente un fusil-mitrailleur , presque à mes pieds une mitraillette, des fusils, des bandes de cartouches. J’en conclus que ces gens-là font de la contrebande, ce n’est pas quelques cartouches de cigarettes américaines qu’ils doivent transporter… ou alors en très grande quantité. C’est sûrement à très grande échelle que ça se pratique. Je suis mal placé pour poser des questions à ce sujet et la soirée se passera très amicalement et nous prendrons congé avant la tombée de la nuit… Avec l’impression d’avoir côtoyé quelques instants des gens hors du commun… et un peu d’amertume à nous retrouver dans notre univers de tuyaux, de pétrole, de travail…
Je ne me souviens plus. J’ai dû même l’oublier immédiatement du nom de ce grand type qui nous avait reçu… Mais quelques années plus tard, notre fameux magasinier, que je retrouvai sur un chantier m’annonça ceci : « tu te souviens de ce grand type, en Syrie qui nous avait reçu sous sa tente, et bien maintenant, il est ministre… » Je n’ai jamais cherché à vérifier mais c’était sûrement exact… C’était en 1974… il ne l’est plus, ça c’est sur !!