Je ne saurais désigner plus adéquatement l’art de Maurice Dehays que par l’expression de « pyrotechnie picturale ». A ceci près que le feu dont il joue est feu d’art et non d’artifices.La singularité de son travail tient tantôt au motif, tantôt à sa présentation. J’entends par motif singulier une réalité sociale qui ne brille a priori pas par ses qualités esthétiques : celle du travail. J’entends par présentation singulière des paysages champêtres dont la banalité a disparu.
Dans ce dernier cas, l’œil a à peine le temps de capter le coloris pastel presque trop appuyé qu’une lumière à la fois très nette et très douce le tempère aussitôt, comme pour vernir l’alignement des meules d’un éclat surnaturel.
En revanche, l’ouvrier, la machine, l’outil nous sont présentés sous un éclairage dont la crudité et l’intensité presque brutales ne visent certainement pas à ménager nos habitudes perceptives. Et c’est peu dire que l’œil est perturbé : Maurice Dehays vient de lui réapprendre ce qu’était la couleur. Un jaune quasi primaire évoque les débordements chromatiques des fauves ; mais la comparaison s’arrête là. Car l’expression de couleurs pures ne signifie pas ici effacement des contours, et si incendie il y a, il s’agit en l’occurrence d’un incendie circonscrit par le réalisme des formes. Mais entendons-nous bien : le réalisme dont je vous parle n’a rien à voir avec un copiage photographique du réel et déjoue toute intention voyeuriste. Maurice Dehays nous montre que l’expressivité peut aussi être pudique et à cet égard la récurrence judicieuse du casque (casque de scaphandrier ou de soudeur) qui dérobe à notre vue les visages des travailleurs n’est sans doute pas un hasard.
L’occupation des espaces n’est pas moins personnelle , comme l’atteste la série de toiles consacrées à la forge. A la fois synthétique et respectueuse, jusqu’à la minutie, de l’unicité de chaque élément de la composition, la vision de Maurice Dehays traduit sa volonté d’habiter (au sens littéral, physique ) les lieux qu’il prend pour modèles. Ainsi cette série fut, pour l’essentiel, peinte « en direct », après que le peintre eut préparé le dessin dans son atelier. Là encore, l’œil est surpris dans ses attentes, tant l’apparente sobriété des tons s’acidule sous l’effet de l’étrange lumière unie de Maurice Dehays.
La cohérence du tout repose à mon sens sur cette dualité visible des œuvres, oscillant entre le classicisme de la ligne et la flamboyance des couleurs, entre continuité de la tradition et singularité de son interprétation, entre contrainte et explosion, en somme.
Cet équilibre précieux entre un perfectionnisme formel toujours plus exigeant et une liberté de ton (au sens chromatique de ce mot) déjouant l’académisme, voilà, en substance, ce que j’appelle la « maîtrise du feu ».
M.S.