SOUVENIR D’ENFANCE

C’était la guerre , pendant les années 40 peut-être en 42 ou 43…. en gros , j’avais dix ans où je m’en approchais. Je suis conscient que c’est un épisode tout à fait banal mais qui mérite d’être conté simplement pour le rapport qu’on peut faire entre les enfants de 10 ans actuels et l’enfant du même âge que j’étais.

Pour me requinquer ( c’était une période de privations) ma mère m’envoyait pendant les grandes vacances passer une semaine ou plutôt deux à Bonneville -Aptot, dans la petite chaumière de ma tante. Une véritable aventure simplement pour s’y rendre . Le train que nous prenions à Petit-Couronne très tôt le matin, toutes les petites stations pour arriver a St Léger – Boissey et là 4 bons kilomètres à pied pour se rendre chez ma tante Madeleine.

Le soir, ma mère repartait et je me retrouvais seul avec Madeleine dans la journée et le père Duboc le soir qui rentrait au moins une fois sur deux complètement bourré et agressif. Aucun confort, bien entendu et la lampe à pétrole le soir et les bougies. La tante Madeleine avait à cette époque une vache. Comme le terrain devait être insuffisant pour la nourrir, il fallait aller la faire paître le long des sentiers communaux, et dans un petit pré où elle la mettait au « tiers ». C’est-à-dire attachée et toutes les 3 ou 4 heures, il fallait la déplacer pour qu’elle puisse brouter le plus économiquement possible. Il fallait aussi la traire. Deux fois par jour si mes souvenirs sont exacts. Le rapport devait être bien mince mais ce dont je bénéficiais c’était d’un grand bol de lait tous les matins, accompagné de tartines coupées dans un grand pain de six livres ( si ça n’était pas douze. Malgré le manque de distraction et la solitude, j’étais  heureux car nôtre tante était pleine de sollicitude à mon égard.

Dans les moments où je n’avais rien à faire, je cherchais de la lecture…… Il n’y avait pas grand-chose alors je me rabattais sur l’almanach Vermot et le chasseur Français que je lisais d’un bout à l’autre, les petites annonces comprises….. Les journées passaient vite, avec en plus l’observation de la basse-cour, poules canards, oies et j’allais oublier le cochon qui n’arrêtait pas de bouffer. Dans mon souvenir, Madeleine n’arrêtait pas à s’occuper de tout cela. En plus elle devait parfois s’absenter pour faire des ménages dans les environs et cela à pied où à bicyclette.

J’allais oublier la corvée d’eau qui se faisait avec le carcan et un seau au bout de chaque chaîne,et de la mare à la maison……. Au cours d’un de ces séjours chez la tantine, c’était la moisson, plein mois de juillet, ma tante me dit , prépare-toi, on va aller glaner. Son but , là encore était de me faire plaisir mais n’ayant pas les moyens, il fallait trouver des solutions économiques pour y parvenir. Nous voilà partis dans la campagne avec deux grands sacs. Face à une grande plaine qui venait d’être moissonnée, elle m’expliqua qu’il fallait rechercher et ramasser les brins de blé qui avaient été laissés sur le terrain par la moissonneuse. Et nous voilà à l’œuvre. J’avais une paire de chaussure (semelles en bois) et ouvertes de toutes part comme des sandalettes. J’ai encore le souvenir désagréable et la sensation piquante sur mes pieds des fétus de blé récemment fauchés.

Le ramassage de ce restant de moisson était lent et fastidieux, mais en quelques heures deux sacs furent à peu près pleins. Comme il devait être près de midi nous rentrâmes à la maison….. et j’étais bien content ! Après le repas , il fallut égrainer les blés que nous avions glanés…. en frappant tout d’abord sur les sacs avec des bâtons et ensuite finir cela à la main . A force de patience, il nous resta un bon paquet de grains de blé, tout à fait décortiqués. Ça n’était pas fini pour autant. Il fallait maintenant moudre ces grains et avec les moyens du bord : le moulin à café. Il en avait fallu des tours de manivelle pour avoir enfin cette farine, pas encore parfaite car il fallut aussi la tamiser. Cette fois , ça y était , nous avions la farine….. mais l’après-midi touchait à sa fin. Il fallait aller traire la vache…. A son retour, Madeleine mit en route la cuisinière, et avec le lait un peu de beurre et cette farine qui nous avait coûté tant d’heures de travail, elle nous fit un gâteau succulent et dont la saveur est à jamais resté gravé dans mes papilles mais surtout dans ma mémoire.

Il est probable qu’à la même époque et dans le passé, des enfants aient connu semblable événement. Ce qui, bien sur, n’est plus le cas et c’est sûrement mieux ainsi. Cependant, quand j’observe les jeunes actuels, pour la plupart gavés de télé, de jeux électroniques de toutes sortes, (et bien sûr de gâteaux qui ne leur ont coûté strictement aucun effort ) Je pense que ma modeste expérience à ce ce sujet a été beaucoup plus enrichissante ,aussi bien sur le plan de l’effort à fournir pour apprécier quelque chose que sur le plan affectif, sincérité des sentiments, désintéressement total et plaisir de faire plaisir. Ces choses-là ne s’oublient pas car plus de 60 ans après qu’ils se soient passés, je les ai parfaitement en mémoire et j’ai omis ou épargné une foule de détails…… !

J’ai oublié de te dire que tout ce qui précède se faisait dans la gaîté…. et la bonne humeur….. !

Maurice

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