Mes grands-parents maternels habitaient à Bonneville-Aptot, lieu dit “la grand-mare”. J’ai connu ma grand-mère… mais je n’ai pas le souvenir de mon grand-père. Leur maison en torchis et, à l’origine toit de chaume se composait de 3 pièces et d’un cellier. Dans mes premiers souvenirs, le sol était en terre battue. Par la suite, il a été refait avec des briques ….. sûrement pas par un professionnel car c’était plutôt irrégulier…De ce fait les chaises, étaient boiteuses. Les portes, aussi bien de l’entrée que de séparation entre chaque pièce étaient pleines, bâties de la même façon que les volets. Elles se fermaient avec un loquet.
Dans mon enfance (la petite) la cuisine se faisait à l’âtre… le chauffage aussi d’ailleurs. Ce n’est que plus tard qu’on y vit apparaître une cuisinière.
A la disparition de mes grand-parents, c’est ma tante, la sœur de ma mère qui hérita de cette maison….. Sans eau, sans électricité….. avec la cabane au fond du jardin..
L’électricité fut mise peu après de la guerre… Quand a l’eau c’est mon frère et moi (et Gisèle pour la partie administrative) qui la firent installer.. ; en 76 à peu près.
J’avais connu l’époque où on allait quérir l’eau à la grand mare avec deux seaux et un carcan….
Ce que je viens d’écrire juste pour situer le décor. Dans les chaumières environnantes, les fermes, c’était à l’identique….Petit à petit, ça s’est transformé, les vieux sont morts, les jeunes ont modernisé, les parisiens ont acheté des résidences secondaires et ont rénovés, les granges sont devenues de pimpantes chaumières, on a fait de la pelouse tout autour… ; bref c’est devenu ce que c’est aujourd’hui.
La maison de ma tante devint un peu le point de ralliement de notre famille. On aimait à s’y retrouver. Notre tante était extrêmement bonne et gentille … Gisèle s’était pris d’affection pour elle et c’était réciproque.
Nous commencions à connaître les gens du cru… Le courant passait plus ou moins bien…. mais l’ambiance était plutôt sympathique. Le plus proche voisin était à 300 mètres de la maison. On ne risquait pas de se gêner…. mais les potins allaient bon train….et bien avant la mise en place du téléphone .
A l’époque, il y avait encore une personne qui parcourait la campagne de maison en maison, pour annoncer le décès d’un habitant du village, ou même du village voisin
Dans le cas présent, c’était le bedeau qui était chargé de prévenir la population. De maison en maison de ferme en ferme, il faisait tout Bonneville Aptot et le village voisin, Thierville et ça faisait des kilomètres ….. Il m’est arrivé d’être présent quand il se pointait… Il frappait à la porte, attendait qu’on lui dise de rentrer enlevait gauchement sa casquette, sûrement un peu intimidé par notre présence …et commençait : « je vous invite à l’inhumation de Mme untel qui aura lieu… ;etc…etc et disparaissait aussitôt. A moins que sur l’insistance de ma tante, il accepte un verre de cidre ou de vin …..Ensuite il continuait sa tournée, par tous les temps été comme hiver, je l’ai vu avec des bottes en caoutchouc à ses pieds…..et sûrement pas de chaussettes !!!!
Je ne savais rien de sa vie…. et pour être franc, à cette époque, pris par mes activités professionnelles, qui m’éloignaient souvent, je ne m’en suis peu soucié.
Par la suite suite j’ai su qu’il venait de l’assistance publique, qu’il avait été placé dans une ferme depuis des années et qu’il y travaillait en permanence….et qu’il était bedeau à l’église……
Il s’est passé des années .. je n’y pensais plus particulièrement. Ma tante est décédée ….. Ma sœur a racheter la maison… l’a fait retaper… du coup, elle a revu le p’tit bediau …. qui était vieux à son tour et sans ressources, ou si peu, indigent… et mis par les services sociaux dans une maison d’accueil avec deux ou trois vieillards dans sa situation.
Laurent, c’était son prénom, malgré la précarité de sa vie, ne semblait pas malheureux… Peut-être un peu seul et sans affection. Mais presque toujours souriant, aimable.. ; pas méchant pour deux sous…. n’en voulant à personne d’avoir vécu cette misérable vie.
Ma sœur Christiane s’occupa de lui l’invita souvent chez elle, elle le promena nous l’amena à la maison… Lui permit de passer quelques bons moments.
C’est au cours de ces rencontres qu’il nous fit, quelques confidences. En vérité, il avait quasiment passé sa vie dans cette ferme sans avoir jamais été salarié…. Même, les quelques pièces de monnaie qu’il récoltait les jours de cérémonie à l’église ou au cours des messes du dimanche, sa patronne les lui reprenait.
Un jour que nous étions a Bonneville -Aptot Gisèle, ma sœur et moi, il nous amena où il avait vécu.
Dans la cour de la ferme de ses patrons (tous deux décédés ) un peu à l’écart, il y avait là un petit bâtiment divisé en deux : d’un côté, du bois stocké au sec , et l’autre , une porte donnant sur une pièce plus que rustique et minuscule. Face à la porte, en travers, un bât-flanc en bois, de 60 centimètres de haut, avec dessus une paillasse. Accroché au mur, une glace…. sur une tablette une bassine c’est tout…. C’est là que je dormais, nous dit-il… et parfois , au cours d’hivers pluvieux, quand je me levais le matin, j’avais les pieds dans l’eau !
Je lui dis à la suite de cette visite que, s’il était d’accord, nous en informions les autorités, que nous prévenions un journal local…. que tout cela, était scandaleux, qu’il avait été exploité toute sa vie, qu’a mon avis, les responsables locaux ne devaient pas ignorer totalement comment les choses se passaient le concernant, aussi bien le maire que le curé…..
Il n’y a eu rien à faire. Il ne voulait absolument pas que tout cela soit révélé. Pour lui , malgré l’exploitation dont il avait été victime, il avait trouvé chez ses patrons comme une famille et il ne leur en voulait pas du tout…. et il était hors de question que l’on fasse quoi que ce soit qui puisse apporter le moindre ennui aux enfants de ses exploiteurs !!!!!
Laurent, le p’tit bediau est mort quelques années après, paisiblement, sans haine et sans colère …..
Grâce à lui, la ferme où il fut exploité doit faire quelques hectares de plus… et les héritiers probablement prospères….. !