La libre pensée

J’ai, peut-être un peu tardivement par rapport aux enfants de mon âge, été à l’église.au catéchisme… J’ai été baptisé, j’ai communié… la fameuse communion solennelle. J’ai donc eu une éducation religieuse… mais pas exclusivement car l’essentiel de mon instruction se passait à l’école publique, obligatoire et laïque.

Partagé entre une réalité basée sur la connaissance et des croyances mélangeant de l’invraisemblable, du pseudo-historique… des contes à dormir debout… que les bonnes sœurs et le curé s’efforçaient de nous convaincre de leur véracité… eux qui devaient en être certains. C’est vrai qu’ils avaient la foi… cette foi qu’il et elles voulaient absolument nous transmettre. Je me souviens de ma bonne volonté à croire. J’avais, enfant, une confiance aveugle dans les adultes, les grands. C’est à coup sûr sur cette candeur et cette naïveté que repose la croyance que les religieux de toutes sortes imposent aux jeunes esprits qui leur sont confiés… A ma première communion, je m’étais, comme il se doit, confessé. J’avais pas grand-chose à me reprocher… je n’ai pas le souvenir d’avoir été un garnement chiant et insupportable… en un mot, j’étais obligé de m’inventer des péchés… et pas bien méchants… du genre: j’ai menti, j’ai volé un sucre dans le buffet ou une pêche ou une pomme suivant la saison chez le voisin… des riens. Le curé me libérait rapidement en m’imposant un acte de contrition dont d’ailleurs, je ne comprenais pas le sens. Cette fois, c’était du sérieux, la sœur supérieure nous avait assuré qu’en communiant, Dieu entrerait en nous… que du coup, nous allions ressentir sa présence… que nous allions être transformés, divinement imprégnés, transportés… et, forcément devenir meilleurs… elle était à coup sûr sincère. Moi aussi et j’ai attendu avec conviction, après avoir communié, l’état de grâce qui devait y faire suite… J’attends encore. Les croyants me diront que je n’avais pas la foi. Pas suffisamment en tout cas. Et je ne les contrarierai pas…! Pour moi, avoir la foi, c’est se convaincre de choses, de sensations qui n’existent pas, une espèce d’illusion qu’on se fabrique soi-même, de l’autosuggestion. A l’âge que j’avais, je n’ai pas analysé la chose de cette façon. Ce dont je me souviens bien, malgré ma bonne volonté, ma très bonne disposition à recevoir « notre Seigneur », il ne s’est rien passé… et j’ai dû ôter mon habit de communiant (un costume marin) et le brassard qui l’accompagnait… et, très heureux de faire une croix (+) sur ces promesses proches du divin, reprendre mes jeux habituels sans longtemps me soucier de cette communion solennelle qui, si j’ai bonne mémoire, mettait un terme au catéchisme. C’était toujours ça de gagné…

Cette parenthèse, juste pour démontrer que l’instruction religieuse ne m’a pas trop fortement imprégnée. Sans doute encore quelques temps l’obligation d’aller à la messe le dimanche matin… mais sans conviction et ma mère, bien que croyante, renonça à nous obliger à y aller. Mon frère ainé était passé au travers de cette obligation… à cause sans doute de mon père, qui, lorsqu’il était plus jeune, n’avait pas cédé au désir de ma mère qui voulait que nous passions par cette instruction religieuse.

Avec les années qui passaient, nos lectures, les informations glanées de droite et de gauche, notre opinion face aux comportements du Vatican, de l’église catholique se firent plus critiques. Sachant que pendant la guerre, le régime de Vichy allait de pair avec l’église. Régime de Vichy = Etat clérical. Les filières mises en place par l’église pour permettre à des criminels de guerre de fuir en Amérique du Sud… Le silence de Pie douze concernant l’extermination des juifs… tout cela, si on y ajoutait l’obscurantisme des siècles passés, son côté réactionnaire et toujours en accord avec les puissants firent que insensiblement, mon frère aîné et moi dans son sillage devinrent de plus en plus en désaccord avec la religion catholique… disons hostiles à cette religion et à tout ce qui s’y rapportait ou s’en inspirait… je fais allusion aux religions similaires ou aux sectes qui, avec des arguments invérifiables, de soi- disant révélations, abusent de la crédulité de leurs adeptes pour leur imposer leurs dogmes et leur irrationnelle façon de penser

Nous devions nous sentir un peu seuls avec nos convictions… Nous avions entendus parler franc-maçonnerie… mais c’était assez secret et nous n’avions pas la moindre information sur ces sociétés secrètes et mystérieuses. Alors, finalement, à la lecture de brochures que des amis nous avaient prêtées, le bouche à oreilles et quand même parce que nous savions que ça existait, nous prîmes des renseignements sur la libre-pensée. Association sans but lucratif d’émancipation des esprits. La libre pensée est laïque, démocratique et sociale. Elle rejette le pouvoir abusif de l’autorité religieuse, les privilèges en matière politique et l’exploitation par le capital en matière économique et sociale. Nous savions aussi qu’elle avait été interdite sous le gouvernement du maréchal Pétain. Autant de raisons qui nous poussaient à nous renseigner sur ces gens qui semblaient avoir les mêmes idées que nous. Avec ça qu’à l’époque, j’avais lu quelques articles d’un certain André Lorulot qui en était le président et dont les écrits, la pensée et les prises de position me confortaient à aller vers eux. Après quelques recherches, nous savions qu’il existait un groupe de la « Libre-Pensée » à Sotteville. Il nous fallait les rencontrer.

A force de persévérance, on sut que le secrétaire de la libre pensée de Sotteville habitait à Grand-Quevilly et nous prîmes rendez-vous, probablement par courrier… le téléphone personne à l’époque ne l’avait dans notre cité. Je ne me souviens pas de son nom… Il vivait avec femme et enfants dans le bas de Grand-Quevilly, dans une cité ouvrière… On s’y pointa donc un jour… et, dans mon souvenir, plutôt tristounet le quartier, avec ça qu’il faisait un de ces crachins bien de chez nous. Une petite barrière, un jardinet… pas tout à fait l’atmosphère que j’avais imaginée. On frappe à la porte… entrez… ! Et nous voilà dans la pièce salon, salle à manger, cuisine… un peu enfumée, ou plutôt de la vapeur…

C’était jour de lessive et j’avais connu ça enfant… donc pas trop surpris. Malgré tout, une espèce de vague déception. Sans être une société secrète, comme on imagine la franc-maçonnerie, la mienne d’imagination aurait aimé un peu plus de mystère et des lieux plus romantiques pour m’inciter à adhérer. Nous saluons la compagnie… Et madame nous laisse le champ libre en emmenant les enfants. Quand au secrétaire et comptable du groupe de la libre pensée de Sotteville, il est en train de se laver les pieds dans une grande bassine, assis sur une chaise, la serviette autour du cou et le pantalon remonté à mi-mollet… C’était plutôt comique et en même temps assez déroutant. En gros, je ne m’attendais pas du tout à ce que notre première entrevue se passe de cette façon. Après s’être essuyé les pieds et enfilé ses charentaises, notre secrétaire nous convia, devant une tasse de café, à lui faire part du but de notre visite. Pour faire bref, on lui fit part de notre anticléricalisme, du rôle des religions, à notre avis néfaste et plus particulièrement pour les classes laborieuses… et bien évidemment de notre athéisme… Du sentiment, également, de se sentir un peu seuls avec nos convictions et notre désir de les partager, de rencontrer des gens qui, grosso-modo, nous ressemblent et nous comprennent. Et puis, surtout, car nous étions jeunes et encore assez naïfs pour penser qu’il était possible d’ébranler tout ça en militant dans une association dont c’était le but.

En un instant, le bulletin d’adhésion était sur la table… un pour mon frère et un pour moi… que nous avons signé sans la moindre hésitation… Et payé notre première cotisation, qui du même coup, si j’ai bonne mémoire, nous abonnait à la Raison, un journal de bonne tenue intellectuelle qui nous tenait informé de toutes les actions plus ou moins anti-démocratiques de l’église… de son attachement au capital, aux grands de ce monde et de ses actions présentes, passées et à venir… pas toujours très reluisantes d’ailleurs et qui, nous semblait-il, justifiait largement le fait que, désormais, nous étions dans le camp de ceux qui luttaient pour un monde plus égalitaire, vraiment fraternel… et sans l’illusoire promesse d’une félicité, d’une éternité de joie, de bonheur… mais cela, après la mort… !

Nous sommes repartis… et je ne sais pas ce que pensait mon frère à cet instant… et je ne me souviens plus de lui avoir fait part de mes impressions. Pour ma part, malgré mon optimisme naturel, en sortant de chez ce brave homme, convaincu d’œuvrer pour le bien commun et plus particulièrement pour les gens de sa condition, je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’on ne pesait pas lourd devant la puissance de l’église… de sa richesse… Un espèce de vague malaise de pitié, d’impuissance en comparant cet obscur secrétaire d’une section de la libre pensée…je m’en rendis compte plus tard presque agonisante.

Je ne suis pas sans savoir que la pensée, les idées peuvent ébranler le pouvoir, et même changer le monde….mais à condition qu’elles soient entendues, comprises adoptées par le plus grand nombre… sinon, point de changement.

Un soir, nous nous retrouvâmes réunis à la section libre pensée de Sotteville… je ne me souviens plus très bien où…, ? Ce dont je me souviens, c’est qu’on n’était pas nombreux… que la plupart étaient des gens âgés. (Pour moi qui était jeune). Une bonne partie de la soirée tournait autour du statut de la section, du président du vice-président, du secrétaire et des quelques rares adhérents. Des problèmes financiers… je n’ose pas penser aux quelques malheureux francs (lourds depuis peu de temps) mais qui n’alourdissaient pas très fortement la caisse…

Une fois les problèmes administratifs et financiers réglés, la discussion devenait quand même plus intéressante. Il y avait là des enseignants, en majorité, dont le président de la section qui devait être à la retraite…Un musicien, le secrétaire qui était ouvrier d’usine deux autres personnes probablement retraités aussi… et deux hommes dans la cinquantaine qui, je le sus plus tard, étaient clowns de profession. Un mélange plutôt disparate… et la nôtre de profession, forcément annoncée… soudeurs et presque toujours en déplacement. Difficile d’avoir du suivi dans les activités liées à ce que je pensais être une association militante.

Pour cette première entrevue, on peut considérer que nous avons conforté nos points de vue. Ce qui n’était déjà pas si mal… Mais nous, nous aurions souhaité de l’action…et ça se fit attendre. Un jour enfin, nous fûmes informés de l’arrivée à la section d’un paquet de tracts à distribuer et d’affiches à coller. Pour être franc, je ne me souviens plus de ce dont il était question… mais qu’importe. Une occasion d’agir pour une fois de manière efficace, et nous n’en doutions pas, d’affaiblir le pouvoir religieux par notre action. Après avoir été cherché les paquets d’affiches et de tracts, nous avons préparé un gros pot de colle, deux gros pinceaux et, le soir même, à la nuit tombée et dans notre bagnole (mise au service de la cause), nous avons fait la tournée de tous les lieux où les gens qui les fréquentaient seraient susceptibles d’être un tant soit peu intéressés. Mais je m’en rendis vite compte par la suite, s’efforcer de démontrer le rôle néfaste de l’église, des religions… ce n’est pas de la tarte. Bon, à cet instant, nous avions nos certitudes…à peine si nous doutions du résultat. Je me souviens d’en avoir collé sous le porche des églises… au risque de faire douter le prêtre de la nécessité de son sacerdoce… s’il les lisait… Je parle là des affiches… les tracts dans les boîtes aux lettres… Il n’y avait plus qu’à attendre les résultats. Il devait y avoir sur ces tracts l’adresse de la section. Personne ne s’est manifesté. Un coup pour rien… Quelques temps plus tard, un conférencier de la libre-pensée devait venir à Rouen. On renouvela notre performance distributrice… Je crois bien que nous étions les seuls à le faire. A cette époque, c’était assez fréquent ces conférences en plus, contradictoires. Il me semble que la salle où elle eût lieu était pleine à craquer.

L’orateur, c’était un certain Las-Vergnas. Si ma mémoire est bonne, il fût convaincant et ses attaques contre le Vatican, le cléricalisme, le rôle historique de l’église bien argumentés… Les quelques contradicteurs, il les remit à leur place sans trop de difficulté… et on en était bien contents. Il revint une fois encore… cette fois, ce n’était pas une attaque contre la ou les religions… plutôt une manière de faire connaître ce qu’était la franc-maçonnerie… son histoire et son rôle dans la société. Aujourd’hui, on en parle librement. Ce n’était pas le cas dans ces années-là. Son côté un peu mystérieux nous intriguait… Même succès que la précédente conférence. Et puis, il n’y en eu plus… et la section ronronnait. Nous étions très pris par notre vie professionnelle et, à part les revues et publications que nous recevions, nos cotisations que nous payions tout à fait régulièrement, notre participation diminua un tant soit peu. Surtout la mienne. J’étais vraiment en pleine activité professionnelle, souvent parti à l’étranger. Si mes convictions ne changeaient pas, j’étais bien obligé de prendre de la distance avec la libre pensée. Mon frère, qui travaillait plus localement continua d’assister aux rares réunions. Il me faisait part de ses impressions lorsque j’étais de retour. Pour lui, ça ne bougeait pas assez et il se lassa des réunions qui ressemblaient plus à la convocation par un syndic, des copropriétaires d’un immeuble… Bon, comme je le disais plus haut, ça ronronnait. En ce qui me concerne, en parlant dans mon entourage, pour la plupart des gens aux idées pourtant proches des miennes, je ne suis jamais parvenu à en faire adhérer un seul d’entre eux. Quand aux autres, les croyants, ou les tièdes en la matière, pas plus de succès. Et la plupart du temps, des refus catégoriques. Ces derniers ne voyant leur salut que dans la pratique de leur religion… tout à fait inébranlables dans leurs certitudes.

J’en suis arrivé à la conclusion, mais peut-être que je me trompe, et tout en reconnaissant son utilité face à l’obscurantisme des religions, quelle qu’elles soient, que la libre pensée dans son ensemble, réunissait en son sein des gens qui, par réflexion personnelle, rejetaient les dogmes de la très sainte mère l’église, son cléricalisme, sa connivence avec les plus puissants de ce monde, son penchant marqué à droite et même souvent vers l’extrême droite, étaient souvent agnostiques et parfois mais plus rarement franchement athées, partisans d’une laïcité efficace… ce qui, bien sûr m’est assez sympathique et convient à ma manière de penser.

Je suis peut-être injuste en pensant cela, mais j’ai ressenti cette espèce d’autosatisfaction mutuelle dans cette communion d’idées… que j’ai qualifiées de « ronronnement ». En un mot comme en cent, ça ne bouge pas….enfin, ce dont je suis sûr, c’est que ça ne bougeait pas…à l’époque auquel je fais allusion. A cette période de ma vie où j’étais dynamique, cet immobilisme m’a déçu, c’est évident. Et je n’étais pas taillé intellectuellement pour donner un élan nouveau à la section dont je faisais partie. Ce n’est pas à mon honneur, j’en conviens, mais petit à petit, je m’en suis éloigné. Pendant des années, j’ai continué à recevoir leurs brochures, et plus particulièrement « L’idée libre ». Une revue de très bonne qualité par les sujets traités et qui ont influencés ma pensée et mes réflexions sur des problèmes de société, d’ordre politique mais également sociaux.

Pour conclure, la libre pensée a eu, je pense,  une influence bénéfique. J’ai renoncé à en faire partie… peut-être que je suis trop individualiste, peut-être que j’en attendais autre chose… allez savoir. Mais, ça n’aura pas été du temps perdu… et ça m’aura permis de l’évoquer avec ces quelques lignes.

Maurice

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