C’est le nom du village où ma mère a vu le jour… et où nous allions passer les fêtes de la pentecôte, du 15 août et de l’ouverture de la chasse… chez ma grand-mère, quand j’étais petit.
Une expédition qui commençait très tôt le matin… pour nous préparer, nous les enfants, avec nos modestes bagages et l’obligation de nous mettre sur notre « trente et un »… même s’il était bien modeste ! En route pour la gare de Petit-Couronne où nous prenions le train, en troisième classe, forcément, mais gratuitement, mon père travaillant à la SNCF.
Le voyage était pour moi une aventure… malheureusement trop courte. Il devait y avoir une trentaine de kilomètres pour atteindre St-Léger-Boissey, notre destination… Mais auparavant, on était passé par des gares aux noms tout à fait exotiques : Grand-Couronne, La Bouille-Moulineaux, Bourgtheroulde-Thuit-Hébert, pour arriver à la gare de St-Léger, heureux .
Tout était nouveau pour moi et prétexte à jeux de toutes sortes. Il nous restait 4 kilomètres à faire à pied pour arriver à la chaumière de ma grand-mère. Qu’on faisait allègrement.., après tout, c’était les vacances et le dépaysement pour quelques jours…
Et aussi, probablement de bons gâteaux, de la confiture, de bonnes tranches de pain beurré trempées dans un lait chaud sucré et fraîchement tiré… Le bonheur…!
Notre grand-mère nous attendait, je me souviens, toujours à la même place. Nous arrivions par un sentier qui traversait la cour d’un vieux personnage aux longues moustaches jaunâtres, toujours l’air contrarié, presqu’en colère, et on ne savait pas pourquoi… il me fichait la trouille et je l’évitais… Quand nous débouchions devant la chaumière, ma grand-mère nous surplombait et l’image que j’en ai d’elle est celle de cette femme, qui me semblait grande, ce qui n’était sûrement pas le cas, toujours vêtue de la même façon, comme la plupart des femmes à cette époque : robe noire qui lui descendait jusqu’à ses chaussures, un gilet également de couleur sombre, et un tablier gris. Il me semble me souvenir, pour égayer tout ça, d’un col blanc… enfin, quelque chose de clair autour du visage. Un chignon, pas tout à fait l’air aimable que j’aurai souhaité… mais, dans mes souvenirs, les adultes dans leur majorité, n’étaient pas très tendre… A part, et heureusement, ma mère…
Une chose nous intriguait chez ma grand-mère… Elle avait toujours sur les yeux des lunettes, dont l’un des verres était sombre, opaque et lui couvrait entièrement l’œil. La raison en était que dans les années précédentes, elle avait eu une verrue tout près de l’œil et qu’un médecin avait pris la décision de l’ôter. A la suite de cette intervention est apparue une ulcération qui a était soignée avec les moyens de l’époque… Pas grand chose…. cette ulcération a grandi, s’est creusée et s’est révélée être un cancer. Pendant des années, ce cancer lui a rongé le tour de l’œil et une partie de la joue. Atroce ! Elle a souffert le martyre pendant des années. J’ai dormi chez elle et je me souviens de ses gémissements avant de m’endormir.
Maintenant, une description de la chaumière de mes ancêtres maternels… qui, ce n ‘est pas négligeable, étaient propriétaires. Enfin, ma grand-mère, car mon grand-père, dont je ne me souviens plus, ne possédait rien. Tout juste les hardes qu’il avait sur le dos. N’empêche, il était couvreur en chaume, mais si ça lui a permis de subsister, ça n’a jamais dépassé l’essentiel nécessaire à sa survie et à celle de sa famille. Il ne devait pas être bileux et pas trop exigeant sur le règlement des chantiers qu’il entreprenait… Trop souvent réglé par des services qu’on lui rendait, un espèce de troc… rarement des espèces sonnantes et trébuchantes… enfin, c’est ce que j’en ai conclu… mais longtemps après.
D’ailleurs, les cordonniers étant, c’est bien connu, les plus mal chaussés, sa maison avait une couverture en chaume dans un état lamentable… le bâtiment qui en dépendait aussi. Il mourut avant que tout cela fût remis en état et, par la suite, si la couverture connut un rafraîchissement, ce fut simplement à l’aide de tôles en fibrociment. L’étanchéité était assurée, mais l’aspect chaumière normande en prenait un sacré coup!
Je reviens donc à la maison que je découvris quand j’étais encore un petit enfant. On accédait à la maison de deux façons… celle dont j’ai parlé plus haut et qui débouchait sur une barrière séparant la propriété du moustachu de celle de ma grand-mère… à droite et face à nous, le jardin, grillagé, à gauche, l’extrémité de la chaumière et nous débouchions dans la cour proprement dite… pas très grande, terre et cailloux au sol et un peu d’herbe de place en place. Une haie vive qui faisait la séparation avec un autre terrain.
Plus loin, à notre droite et face à nous , des champs, de la campagne. Pour moi, à l’époque, l’immensité.
On pouvait y accéder par un autre côté, à partir du lieu-dit : « la grand’mare ». Faisant suite à la route, un chemin de pierres menant à une barrière en piteux état, devant nous, un herbage qui devait faire approximativement un demi-hectare, quelques pommiers,… parfois des vaches, paissant ou ruminant… ce qui m’intriguait mais surtout, m’impressionnait. L’herbage était clos par des haies vives et quelques arbres. C’était vraiment la campagne.
Le chemin qui accédait à la maison n’était apparent que par le passage des gens de la maison ou des visiteurs occasionnels (rares) qui venaient en ces lieux. Relativement dégagé et sec quand il faisait beau, détrempé et boueux dès qu’il pleuvait.., les normands habitués à ce genre d’endroit connaissent… !
Venant de cette façon, la maison nous apparaissait légèrement en contre-bas, invisible de la route, bien exposée et tranquille. Encore une petite barrière à franchir et nous nous retrouvions dans la cour précédemment décrite. Nous étions passé devant un bâtiment qui se délabrait, envahi de ronces et de mauvaises herbes et dont on m’interdisait l’accès.
Je commence par les commodités… c’était en ces lieux, très rustique. Pas d’électricité, ça viendra bien plus tard, pas d’eau courante, ça viendra encore beaucoup plus tard… et d’abord à l’entrée du terrain, c’est-à-dire à plus de cent mètres de la maison. C’est Gisèle qui s’en occupera bien des années plus tard pour faire venir l’eau jusque dans la maison. On n’en est pas là.
A l’époque dont je parle, et longtemps encore par la suite, il fallait aller chercher l’eau à la « grand’mare », avec le carcan et deux seaux!! Cette mare avait deux accès. L’un avec une avancée faite de quelques planches qui permettait de puiser de l’eau à l’endroit le plus profond de la mare… là où l’eau était relativement claire… ça, c’était pour les habitants du coin, et le seul point d’eau. L’autre était réservé aux bestiaux et descendait en pente douce jusqu’au bord de l’eau… que de la gadoue pleine d’empreintes de sabot.. des nuées de mouches et de moustiques, sur les bords, des roseaux et quelques saules… sur la mare, des poules d’eau, et, à la belle saison, des libellules. Il y avait bien deux cent mètres de distance de ce point d’eau à la maison. Il fallait l’épargner, la flotte… autre chose que d’ouvrir ou de fermer un robinet… ! J’ai connu ça… et cela va de soi, la cabane au fond du jardin… avec l’espèce de trou rond et le couvercle en bois… et je ne parle pas de ce qu’il y avait au-dessous… de l’odeur, malgré le grésil.… Et du papier journal pré-découpé et accroché a la paroi (en planches) de la cabane. La maison elle-même devait avoir, je n’ose pas le dire , un âge très avancé et qui ne se compte plus en décennies… Elle avait été construite avec les moyens du bord… et sûr qu’ils n’étaient pas importants. Heureuse époque cependant où il était possible de se faire un toit sans mille et un autorisations, papiers, démarches!!! Le seuil, tout d’abord, fait de briques disjointes et qui donnait accès à une pièce, (la principale) en terre battue. Une table, quelques chaises, un buffet et ce qui m’intéressait le plus, la cheminée, qui fonctionnait en permanence, à cette saison au ralenti et où ma grand-mère faisait sa cuisine. Les chenets, la crémaillère, le soufflet, autant d’ustensiles inhabituels qui éveillaient ma curiosité.
La porte d’entrée, une porte pleine faite de planches réunies par deux traverses sur lesquelles étaient fixées deux charnières identiques à celles des volets qui garnissaient les petites fenêtres, l’une éclairant modestement la pièce principale, l’autre la chambre. Sur le côté pignon, une autre minuscule fenêtres. Il y avait aussi une fenêtre au nord -est de la maison qui apportait un peu de lumière dans la pièce principale. Fenêtres qui ne faisaient pas soixante centimètres de hauteur et de largeur… probablement pour conserver le maximum de chaleur au cours des journées glaciales des hivers souvent rigoureux. L’isolation, on connaissait pas… les murs en torchis n’étaient pas très épais, réparés de place en place… les bois apparents commençaient à se disjoindre… inutile de prévoir de l’aération… En plus, l’espace entre le sol et le bas de la porte d’entrée donnait sans problème du tirage à la cheminée… qui, à l’époque dont il est question, était l’unique source de chaleur pour toute la maison.
Faut dire qu’elle n’était pas très grande et se composait de trois pièces. Celle dont je viens de parler, à usage de cuisine, salle à manger et salon en même temps, vachement pratique, tout dans la même pièce !! On devait aussi, le matin, y faire sa toilette. Je me souviens, par la suite, avoir vu mon oncle s’y raser et, une fois, l’opération terminée, jeter l’eau de la cuvette devant la porte… pas de chi-chis… et, pour se rincer, mais en l’épargnant, il en reprenait une cuvette dans le seau d’eau qu’il avait été chercher la veille ou le matin même. Pour éviter que la bise pénètre trop aisément dans la maison, il était d’usage de mettre une « pouque » au pied de la porte d’entrée… c’était pas très esthétique mais plutôt efficace et c’était l’essentiel.
Au coin du buffet, j’ai le souvenir d’un pain de six livres… (peut-être de douze…!) qui devait faire la semaine… La boulangerie la plus proche était à six kilomètres.
Beaucoup plus tard, quand ma tante Madeleine héritera de la maison, le feu dans la cheminée cessera et sera remplacé par une cuisinière bois et charbon qui fera office de chauffage, (plus efficacement, il faut le reconnaître). Du-coup la cheminée, à ma grande déception fût condamnée.
Dans cette même pièce, longtemps après ce que j’évoque, on remplaça la terre battue par des briques à champ… grosse innovation mais exécuté sûrement par un amateur… ça n’était pas très de niveau et il était assez difficile d’équilibrer les chaises sur lesquelles on s’asseyait… Un détail…
De chaque côté de la pièce principale, une chambre. Séparées toutes les deux du séjour par une porte pleine identique à celle de l’entrée dans sa conception, mais un peu moins épaisse. Chez nous, il y avait des poignées aux portes… en laiton… du luxe… Rien de tout cela ici. Un tassot cloué en oblique sur la porte et qui servait de poignée… et un loquet actionné, quand on voulait entrer dans la chambre, par une ficelle qui passait par un petit trou pratiqué dans la porte. On tirait la ficelle qui soulevait le loquet… la porte s’ouvrait. Quand on était entré dans la chambre, il suffisait de replacer le loquet dans son logement, la porte était fermée… on était chez nous.
La simplicité même et je ne serais pas surpris que nos ancêtres les Gaulois utilisaient un système identique. D’ailleurs, il ne devait pas y avoir une grande différence entre la maison que je décris et celles de nos lointains ancêtres.
Quand j’ai grandi, j’ai été visité le grenier, plein de foin et j’ai pu constater que la charpente était faite, non de bastings et de chevrons, mais de troncs d’arbres de petits diamètres et de grosses branches qui avaient dû finir de sécher sur place….
A l’extrémité de la maison, un cellier dont l’accès n’était possible que de l’extérieur… par une porte pleine également, avec les fûts de boisson et les bouteilles de cidre. Accroché au mur, le garde-manger, au fond, quelques outils.
Les commodités, dont je parlais plus haut… au fond du jardin, sous un joli bouquet d’arbustes, et après avoir traversé la cour… et franchi une barrière. Il était préférable de ne pas être dans l’urgence !!
Voilà grosso-modo la maison de mes grands-parents. C’était tout à fait rustique mais je n’ai pas l’impression d’en avoir souffert. J’ai même d’excellents souvenirs passés dans ces lieux et pas si vieux que cela.
Le bonheur, c’est pas forcément le formica et le confort… Bien que je reconnaisse que c’est pas plus mal… et je n’irai pas jusqu’à dire que je suis un nostalgique de ces rudes époques… je pense seulement que notre vie actuelle, confortable, pleine de multiples gadgets, on la subit de plus en plus au détriment de notre liberté.
En ce qui me concerne, je suis à cheval sur deux époques. Petit enfant, j’étais encore réveillé par le pas des chevaux qui passaient sur le « chemin d’Oissel »… c’était le nom de la rue qui passait devant chez nous. Il y avait encore au moins une dizaine de fermes dans notre village.
J’ai connu la lampe à pétrole et la bougie quand j’étais enfant et, en même temps, l’électricité. A Petit-Couronne,il fallait aller chercher l’eau à une borne fontaine qui desservait toute la cité… une douzaine de familles. Quarante mètres de chez nous, à peu près, et, quand j’ai été en mesure de le faire, ça faisait partie des menus travaux que j’étais pas peu fier d’exécuter… un seau au bout de chaque bras. De la bonne eau bien fraîche et qu’on pouvait boire ; pas comme à Bonneville. Nous, ici, c’était moderne et on appréciait la différence. Tout est là…c ‘est par la comparaison que naît l’insatisfaction. Nous, on était mieux que nos parents de Bonneville (sur le plan confort) mais eux n’en souffraient pas puisqu’ils ne connaissaient pas autre chose et ça, depuis toujours.
On peut faire la comparaison avec un jeune aujourd’hui qui est malheureux si on lui enlève son téléphone portable et moi qui s’en fiche et qui d’ailleurs n’en possède pas…
Bon, tout ce discours seulement pour faire ressortir qu’il est possible de vivre plus rudement sans être forcément malheureux. D’ailleurs, le bonheur, qu’est-ce que c’est ?
Maurice.